jeudi 9 décembre 2021

L'éloge de la fatigue


Joëlle, soeur de Michel également, a choisi pour parler de son grand frère, de nous lire le texte que Michel aimait particulièrement : « L’éloge de la fatigue ». Pour ceux qui ne le connaissent pas, je vais vous le transcrire.


Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise mine

Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine

Que l’on ne gagne rien à trop se prodiguer

Vous me dites enfin que je suis fatigué

Oui je suis fatigué, Monsieur, mais j’ m’en flatte

J’ai tout de fatigué, le coeur, la voix, la rate

Je m’endors épuisé, je m’réveille las

Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas

Et quand je m’en soucie, je me ridiculise

La fatigue souvent n’est qu’une vantardise

On n’est jamais aussi fatigué qu’on l’croit

Et quand cela serait, n’en a-t-on pas l’droit


Je ne parle pas des tristes lassitudes 

Qu’on a lorsque le corps harassé dhabitudes

N’a plus pour se mouvoir, que de pâles raisons

Lorsqu’on a fait de soi son unique horizon

Lorsqu’on n’a rien à perdre, à vaincre ou à défendre

Cette fatigue-là est mauvaise à entendre

Elle fait l’front lourd, l’oeil morne, le dos rond

Et vous donne l’aspect d’un vivant moribond

Mais se sentir plier sous le poids formidable

Des vies dont un beau jour on s’est fait responsable

Savoir qu’on a des joies ou des pleurs dans ses mains

Savoir qu’on est l’outil, qu’on est le lendemain

Savoir qu’on est l’chef, savoir qu’on est la source

Aider une existence à continuer sa course

Et pour cela se battre à s’en user le coeur

Cette fatigue-là, Monsieur, c’est du bonheur


Et sûr qu’à chaque pas, à chaque assaut qu’on livre

On va aider un être à vivre ou à survivre

Et sûr qu’on est le port et la route et le gué

Où prendrait-on le droit d’être trop fatigué

Ceux qui font de leur vie une belle aventure

Marquent chaque victoire, en creux, sur la figure

Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus

Parmi tant d’autres creux, il  passe inaperçu

La fatigue, Monsieur, c’est un prix toujours juste

C’est le prix d’une journée d’efforts et de lutte

C’est le prix d’un labeur, d’un mur ou d’un exploit

Non, pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit

C’est le prix d’un travail, d’une journée remplie

Et c’est la preuve, aussi, qu’on vit avec la vie


Quand je rentre la nuit et que ma maison dort

J’écoute mes sommeils, et là, je m’sens fort

Je m’sens tout gonflé de mon humble souffrance

Et ma fatigue alors, c’est une récompense

Et vous m’conseillez d’aller me reposer

Mais si j’acceptais là ce que vous proposez

Si je m’abandonnais à votre douce intrigue

Mais je mourrais, Monsieur, tristement de fatigue


                                                         Joëlle, petite soeur de Michel


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire