Joëlle, soeur de Michel également, a choisi pour parler de son grand frère, de nous lire le texte que Michel aimait particulièrement : « L’éloge de la fatigue ». Pour ceux qui ne le connaissent pas, je vais vous le transcrire.
Vous me dites, Monsieur, que j’ai mauvaise mine
Qu’avec cette vie que je mène, je me ruine
Que l’on ne gagne rien à trop se prodiguer
Vous me dites enfin que je suis fatigué
Oui je suis fatigué, Monsieur, mais j’ m’en flatte
J’ai tout de fatigué, le coeur, la voix, la rate
Je m’endors épuisé, je m’réveille las
Mais grâce à Dieu, Monsieur, je ne m’en soucie pas
Et quand je m’en soucie, je me ridiculise
La fatigue souvent n’est qu’une vantardise
On n’est jamais aussi fatigué qu’on l’croit
Et quand cela serait, n’en a-t-on pas l’droit
Je ne parle pas des tristes lassitudes
Qu’on a lorsque le corps harassé dhabitudes
N’a plus pour se mouvoir, que de pâles raisons
Lorsqu’on a fait de soi son unique horizon
Lorsqu’on n’a rien à perdre, à vaincre ou à défendre
Cette fatigue-là est mauvaise à entendre
Elle fait l’front lourd, l’oeil morne, le dos rond
Et vous donne l’aspect d’un vivant moribond
Mais se sentir plier sous le poids formidable
Des vies dont un beau jour on s’est fait responsable
Savoir qu’on a des joies ou des pleurs dans ses mains
Savoir qu’on est l’outil, qu’on est le lendemain
Savoir qu’on est l’chef, savoir qu’on est la source
Aider une existence à continuer sa course
Et pour cela se battre à s’en user le coeur
Cette fatigue-là, Monsieur, c’est du bonheur
Et sûr qu’à chaque pas, à chaque assaut qu’on livre
On va aider un être à vivre ou à survivre
Et sûr qu’on est le port et la route et le gué
Où prendrait-on le droit d’être trop fatigué
Ceux qui font de leur vie une belle aventure
Marquent chaque victoire, en creux, sur la figure
Et quand le malheur vient y mettre un creux de plus
Parmi tant d’autres creux, il passe inaperçu
La fatigue, Monsieur, c’est un prix toujours juste
C’est le prix d’une journée d’efforts et de lutte
C’est le prix d’un labeur, d’un mur ou d’un exploit
Non, pas le prix qu’on paie, mais celui qu’on reçoit
C’est le prix d’un travail, d’une journée remplie
Et c’est la preuve, aussi, qu’on vit avec la vie
Quand je rentre la nuit et que ma maison dort
J’écoute mes sommeils, et là, je m’sens fort
Je m’sens tout gonflé de mon humble souffrance
Et ma fatigue alors, c’est une récompense
Et vous m’conseillez d’aller me reposer
Mais si j’acceptais là ce que vous proposez
Si je m’abandonnais à votre douce intrigue
Mais je mourrais, Monsieur, tristement de fatigue
Joëlle, petite soeur de Michel
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