Pedro et Pablo vivent avec leur mère dans une barraque misérable. Leur père ne vit pas avec eux; ils ne s’est jamais occupé d’eux. Depuis 2 mois, ils ont un nouveau petit frère, dont le père semble inexistant lui aussi. Ils sont heureux d’avoir un petit frère, surtout Pablo qui en est fou et parle tout le temps de lui. Les deux enfants ne sont pas faciles en arrivant, mais ils font des progrès au fil des jours, tant chez nous qu’à l’école. Pedro a des difficultés d’apprentissage et n’est pas très enthousiaste pour étudier; mais Pablo est vif et intelligent, et avec de l’aide, il progressera vite. Son institutrice a l’école est toute heureuse, car elle dit que depuis qu’il est accueilli à Crianças do Mundo, il évolue nettement. En peu de temps, il commence à lire et écrire, alors qu’il ne savait vraiment rien en arrivant chez nous. L’accompagnement individuel avec notre professeur d’alphabétisation porte déjà ses fruits.
En novembre, les deux enfants montrent un changement de comportement, surtout Pablo. Il devient irrascible et renfermé, il pleure pour tout et pour rien, n’a plus la bonne volonté qu’il avait pour étudier. Il semble profondément triste et en même temps révolté. Nous apprenons que leur mère a “donné” leur petit frère. Pedro est assez indifférent, ne semble pas vraiment touché, tandis que Pablo ne l’accepte vraiment pas. Je me rends à l’école et je rencontre son institutrice qui me dit qu’elle a dû appeler la mère à l’école, tellement Pablo a changé et est devenu difficile. Il ne veut plus rien faire en classe et a complètement régressé. Elle a appris pour le petit frère et demande à la mère de confirmer l’histoire. Celle-ci, sans aucune gêne ni aucun remords, répond que c’est vrai. Elle ne voulait plus de ce bébé qui lui “pourrissait” la vie, qui l’empêchait de sortir quand elle en avait envie, qu’il fallait allaiter à toute heure et ça la dérangeait trop ! Elle n’en voulait plus! Pablo a insisté des tas de fois, suppliant sa mère de ne pas donner son petit frère qu’il aime tant, mais il n’y a rien eu à faire, elle s’en est débarrassée quand même. Résultat : Pablo a terriblement changé et pas en bien hélas.
Ce qui ne semble pas du tout émouvoir sa mère qui reste froide et indifférente. L’institutrice lui explique que Pablo est bouleversé par ce qui s’est passé, qu’il a besoin de beaucoup d’affection. Elle demande à la mère quand elle a embrassé Pablo pour la dernière fois. La mère la regarde d’un air étonné et lui répond :”Embrasser?... Pour quoi faire?... Je n’ai pas de temps à perdre pour ça!”
En entendant l’institutrice me raconter cet événement, j’en ai des frissons. Je pense à Pedro et à Pablo et j’ai mal pour eux. Chacun des deux gosses réagit à sa façon : Pedro est peut-être plus blindé, mais Pablo, encore bien petit, souffre davantage et réagit par l’agressivité et la révolte. En rentrant, je raconte ces événements à Michel et nous décidons d’en parler à notre équipe pédagogique, afin de demander à chacun une attention particulière et beaucoup d’affection pour Pedro et encore plus pour le petit Pablo. L’amour d’une mère ne se remplace pas, mais nous pouvons compenser au maximum pour atténuer la souffrance de Pablo. Petit à petit, au fil des jours, au prix de beaucoup d’amour et d’affection, les choses s’améliorent; Pablo redevient plus souriant et retrouve sa bonne volonté pour étudier. Pedro continue pareil à lui-même, avec toujours ce manque d’enthousiasme pour les études, mais ne donnant pas trop de problèmes de comportement.
Les grandes vacances d’été arrivent. Les enfants passent un mois chez eux et reviennent à Crianças do Mundo fin janvier, les écoles reprenant début février. Pedro et Pablo reviennent à nouveau beaucoup plus difficiles et agités. Ce mois d’absence ne leur a pas fait du bien et il va falloir tout reprendre à zéro. Lorsqu’ils parlent de leurs vacances, nous entendons qu’ils ont été beaucoup dans la rue. Il ne peut rien en résulter de positif. Nous devons donc recommencer tout le travail d’éducation et d’apprentissage avec eux, comme avec beaucoup d’autres de nos enfants, qui eux aussi ont une vie de famille terriblement perturbée, connaissant quotidiennement la violence et le manque d’amour. C’est peut-être une des choses les plus difficiles dans notre travail avec les enfants: le manque d’appui et de collaboration des parents. Bien souvent, les familles détruisent le travail de notre équipe, réduisent parfois à néant, en peu de temps, les progrès réalisés au prix de gros efforts par leurs enfants, leur évolution personnelle et leur apprentissage scolaire. C’est pourquoi il est si important de travailler aussi avec les familles, mais il est beaucoup plus difficile de faire changer et évoluer des adultes.
Pedro, Pablo, Lucas, Cawan ... et tous les autres, ont un énorme besoin d’amour. A Crianças do Mundo, chaque membre de notre équipe se donne au maximum, avec gentillesse mais exigence, pour éduquer les enfants, pour les aider dans leur apprentissage scolaire, pour les sociabiliser. Mais le plus important, tous donnent un maximum d’amour et d’affection à chacun. Et nous essayons de montrer à tous les enfants combien cet amour est essentiel dans la vie de chacun, qu’ils doivent eux aussi apprendre à en donner autour d’eux et que c’est la seule solution pour être heureux et pour rendre les autres heureux. Sans Crianças do Mundo, beaucoup de nos enfants ne connaîtraient pas l’amour ni la tendresse, ne sauraient pas qu’ils sont importants pour quelqu'un, et ne pourraient jamais transmettre cet amour à leurs propres enfants plus tard. Les milliers d’enfants qui sont passés chez nous ne réussiront pas de la même façon dans la vie. Mais tous auront découvert l’amour et ça, j’en suis certaine, marquera leur vie à tout jamais.
Evelyne
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