lundi 24 septembre 2012

Une médecine à deux vitesses...


Dans notre petit bulletin n°117 d’octobre 2011,   je vous racontais l’histoire de João Victor et de Luis Felipe, deux petits frères accueillis em début d’année 2011. Vous vous en souvenez peut-être, mais je vais vous faire um petit résumé de leur histoire pour la resituer pour vous. Au moment où nous les accueillons, João Victor et Luis Felipe, 9 et 8 ans, vivent avec leur maman Patricia et une petite soeur de 4 ans, Ana Luiza, leur père étant en prison pour trafic de drogues. Ils vivent dans une barraque tellement misérable que nous les aidons à s’installer dans une petite maison plus digne et humaine. Les deux petits garçons ne sont pas faciles, surtout Luis Felipe, mais au fil du temps, nous voyons des progrès malgré tout. J’accompagne la famille de près, rendant visite à Patricia régulièrement. Elle travaille toujours courageusement comme aide-maçon, dans une société de construction, et s’occupe de ses enfants et de la maison le soir et les fins de semaine.

Vers le mois de mars de cette année 2012, je trouve que Patricia perd de son énergie. C’était une force de la nature et la voilà de plus en plus fatiguée, sans ressources physiques, mal dans sa peau. Elle me dit qu’elle a de fréquents maux de tête et ne se sent pas bien. Je lui conseille d’aller chez un médecin, pour savoir ce qui se passe et pouvoir se soigner. Elle va consulter dans les jours suivants dans le petit poste de santé de son quartier, où elle doit se rendre à 3 reprises pour enfin être reçue. Ou le médecin ne venait pas, ou la file d’attente était trop grande pour recevoir tout le monde. Lorsqu’elle peut enfin consulter, le médecin lui donne simplement une prescription pour un anti-douleur, sans demander aucun examen. Les maux de tête persistent, Patricia perd de plus en plus d’énergie, au point qu’elle manque parfois au travail. Je vois bien qu’elle est réellement mal, ce n’est pas de la comédie. Il faut qu’elle retourne voir un autre médecin. Le lendemain, Patricia a un premier malaise. Elle tombe chez elle quand elle est seule et reste tout un temps par terre, ne parvenant pas à se relever. Quand je l’apprends, je me rends chez elle et lui dis que cette fois, c’est à l’hôpital qu’elle doit aller. Mais là-bas, on ne lui fait rien non plus, aucun examen. On la renvoie chez elle avec un autre médicament. Dans les jours suivants, Patricia aura 3 nouveaux malaises, plus sérieux, avec perte de conscience et elle sera emmenée à l’hôpital. Mais à aucun moment, on ne lui fera des examens pour découvrir la cause de ses malaises. On la met sous perfusion quelques heures et on la renvoie chez elle. Fin avril, Patricia refait un malaise beaucoup plus grave. Elle est emmenée em ambulance à l’hôpital et cette fois, on constate qu’elle a fait un AVC. C’est très grave et Patricia ne s’en remettra pas. Elle est paralysée, ne reconnait plus personne, même pas ses enfants. Elle restera finalement dans un semi-coma pendant  plusieurs semaines et elle décède début juin. Ses 3 enfants sont placés à la Cidade do Menor, le premier Centre d’accueil où nous avons travaillé et où il y a encore un internat. Nous restons en contact avec eux, les visitant de temps en temps.

Ils ont un peu de mal à s’intégrer au début, encore sous le choc de la perte de leur maman, tellement brusque, mais petit à petit, ils s’adaptent et se sentent mieux parmi les autres enfants. La disparition, si jeune, de leur maman, à 37 ans, est cependant bien difficile pour ces trois enfants de 10, 9 et 5 ans. Et nous ne pouvons nous empêcher de penser que Patricia aurait pu vivre encore longtemps si elle avait été mieux soignée. Il y a eu manifestement de la négligence, car vu ses maux de tête constants, ses 3 premiers malaises n’étaient-ils pas déjà de petits AVC ? Cette petite famille avait enfin une vie un peu plus digne et heureuse, et voilà que ces pauvres gosses ont tout perdu, leur maman, Crianças do Mundo, leurs amis... Patricia est hélas un cas parmi des milliers d’autres au Brésil, qui dépendent de la santé publique. Beaucoup y laissent leur vie, alors qu’ils auraient pu être sauvés.
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Dans notre petit bulletin n°120, de juillet 2012, je vous racontais l’histoire de Geanderson et d’Oliete, sa maman. Le petit Geanderson, 9 ans actuellement, est entré à Crianças do Mundo en début de cette année 2012. Lors de ma première visite chez lui, j’ai fait la connaissance d’Oliete. Elle n’était déjà plus en bonne santé. En novembre 2011, à 39 ans, elle a eu um cancer du sein et a subi une mastectomie totale du sein droit. Après son opération, une nouvelle tumeur est apparue à l’endroit du sein enlevé. Toute petite au début, cette tumeur n’a cessé de croître au fil des mois. Pourquoi les médecins n’ont-ils pas décidé de l’enlever quand elle était petite? Nul ne le sait...Quand j’ai rencontré Oliete vers le mois d’avril, sa tumeur avait la taille du sein. En juin, elle est devenue gigantesque, impressionnante. Elle se rendait pourtant régulièrement chez le médecin oncologue. Sa santé se dégrade de plus en plus, la souffrance devient terrible, jusqu’à devoir être hospitalisée à la mi- juin. Oliete reste 3 semaines à l’hôpital, mais on ne lui applique aucun traitement. Elle est simplement sous perfusion, avec des anti-douleurs. Lorsque je vais la voir, elle me dit toujours ”Pourquoi me gardent-ils à l’hôpital, ils ne me font rien! Je veux rentrer chez moi.” Le 12 juillet, le médecin décide de la laisser rentrer quelques jours à la maison, fixant au 23 juillet une “opération d’hygiène”, simplement pour enlever le plus possible de cette tumeur énorme (autour de 5 kilos). Lors d’une conversation avec le médecin, celui-ci me dit qu’il n’y a plus rien d’autre à faire, et qu’il ne sait même pas si Oliete résistera à l’opération. Oliete rentre donc chez elle, dans sa barraque misérable de la favela. Mais elle ne tient que quelques jours. Malgré les médicaments, la souffrance est devenue insupportable et elle  demande à retourner à l’hôpital le jeudi 19 juillet, 4 jours avant l’opération fixée. Cette opération est annulée vu son grand état de faiblesse et Oliette  passe 2 nouvelles semaines à l’hôpital, simplement sous perfusion. Début août, elle  demande à rentrer chez elle, ne voulant plus rester inutilement à l’hôpital, puisqu’on ne lui fait de nouveau rien.


Les médecins de l’hôpital, étonnés qu’elle continue en vie, lui  permettent de partir en signant une décharge. Et Oliete se retrouve chez elle, avec un tas de médicaments, entre autres de la morphine en comprimés. Nous les lui achetons, car elle n’a bien sûr aucune condition de le faire elle-même. La pauvre tient encore pendant 3 semaines, souffrant de plus en plus. Nous sommes le plus possible à ses côtés, mais quel sentiment d’impuissance face à une telle souffrance! En crise d’insuffisance respiratoire aiguë, Oliete est emmenée d’urgence à l’hôpital le mercredi 22 août et elle y décède le jeudi 23 à l’aube. Notre petit Geanderson perd à son tour sa maman qu’il adorait et qui lui manque déjà terriblement. C’est son papa qui va faire de son mieux pour l’élever, ayant promis à Oliete d’arrêter de boire pour bien s’occuper de leur fils. Ce ne sera pas facile, mais nous serons là, à ses côtés, pour l’y aider. Geanderson, tout comme João Victor, Luis Felipe et Ana Luiza perdent leurs mamans, à nos yeux par négligence et manque de soins.  Nous ressentons um grand vide, une profonde tristesse devant un tel manque de préoccupation, de respect, d’humanité. Si Patricia et Oliete avaient eu de l’argent ou une assurance soins de santé privée, elles auraient sans aucun doute été beaucoup mieux soignées. Nous avons déjà vu tellement de situations semblables.
Notre ville de Coronel Fabriciano est restée 14 mois sans hôpital public, de juin 2011 à fin août 2012. Celui-ci avait dû fermer ses portes pour faillite, suite à une mauvaise gestion et des détournements de fonds. La population pauvre de la ville s’est retrouvée obligée de se rendre dans les villes voisines pour se faire soigner. Beaucoup n’avaient même pas les conditions de s’y rendre... Ceux qui le pouvaient passaient des heures, des jours dans les couloirs, à attendre que quelqu’un s’occupe d’eux, les hôpitaux voisins étant surchargés. Certains en sont morts, d’autres ont des séquelles à vie. Je pourrais vous raconter d’autres histoires comme celles-là, toutes aussi terribles les unes que les autres. Des situations révoltantes, indignes, inhumaines, qui nous laissent un goût amer d’injustice, d’impuissance, une envie de hurler contre ce système inégal entre les riches et les pauvres, un système qui joue avec la vie des gens, qui laisse des orphelins avec leur peine et leur souffrance profonde. Et nous au milieu de tout cela, nous n’avons que nos bras et notre coeur pour aider comme nous le pouvons ces enfants dans la douleur, leur donner tout l’amour dont ils ont besoin, même si nous ne pourrons jamais combler ce vide immense qu’ils ont à jamais dans le coeur. Une maman, c’est unique, et c’est irremplaçable.      

Evelyne                                          

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