jeudi 15 décembre 2022

Maria Clara nous raconte son histoire


Maria-Clara est une petite fille de 11 ans qui est à Crianças do Mundo depuis ses 8 ans. Accueillie dans notre maison du centre-ville, elle est maintenant avec nous ici au milieu de la forêt. Malgré une petite enfance difficile, avec un passé lourd à vivre, elle est toujours souriante et pleine d’énergie. Je connaissais déjà un peu son histoire, mais Maria-Clara ne m’en avait encore jamais parlé personnellement. Nous n’interrogeons jamais nos enfants sur leur passé, souvent lourd et triste ; il ne faut jamais les forcer, nous devons respecter leur intimité et parfois, leurs secrets. Nous les laissons libres d’en parler quand ils sentent que le moment est venu et surtout qu’ils ont « besoin » d’en parler. Un jour, Maria-Clara est assise auprès de moi et nous bavardons de toutes sortes de choses. Elle me regarde et me dit :  « Je pourrai un jour te raconter mon histoire ? »   Je lui demande si elle en a envie, et elle me répond que oui. Je lui demande alors si elle souhaite le faire en privé, et elle me répond tout simplement qu’elle peut le faire en présence des autres petites filles, qu’il n’y a aucun problème.

Quelques jours plus tard, je réunis donc les filles après leur petit goûter, et je leur en  explique la raison. C’est quelque chose qui nous a toujours touchés Michel et moi : le respect des enfants envers l’ autre quand celui-ci raconte ce qu’il a vécu. Tous écoutent en silence et sans jamais se moquer. Nous nous asseyons toutes en cercle et Maria-Clara commence à raconter son histoire de vie, aidée par moments par une de nos professeurs qui connaît les détails de son histoire d’enfance.

Maria-Clara naît  le 29 avril 2011 dans un des quartiers les plus misérables de Coronel Fabriciano, au bord de la rivière. Ses parents sont tous les deux viciés en crack et ne s’occupent pas de leur bébé. Celle-ci pleure à longueur de journée, de faim, de manque de soins, de manque d’amour. Les voisins s’inquiètent, mais n’osent pas trop intervenir par peur de la réaction des parents. Le père est violent lorsqu’il est sous l’emprise de la drogue. Mais lorsque la petite a autour de 3 mois, des cris aigus s’élèvent de leur barraque. Une des voisines prend courage et entre chez Maria-Clara. Le spectacle qui s’offre à elle est désolant. Elle n’hésite pas une seconde et « ramasse » la petite qui est couchée nue à même le sol. Elle pleure à grands cris et a visiblement reçu des coups de son père qui est maintenant écroulé par terre à côté de sa femme. Elle l’emmène chez elle sans que les parents ne s’en aperçoivent tellement ils sont drogués. Elle fait appel au service social de la préfecture et quelqu’un se présente. Devant la situation, l’assistante sociale appelle la police. Les parents sont emmenés sur le champ et mis en prison pour mauvais traitements sur mineur. Que faire du bébé ? La voisine à nouveau n’hésite pas, et demande à l’assistante sociale si elle peut garder la petite pour s’en occuper. Celle-ci, contente de trouver une solution facile et rapide, accepte et voilà Maria-Clara dans des mains généreuses. Cela peut paraître étrange en Belgique, mais ce genre de pratique est très courant au Brésil. Énormément d’enfants abandonnés à leur triste sort sont élevés par des voisines, des tantes, des grands-mères... sans aucune cérémonie ni soucis administratifs.

Cette généreuse voisine s’appelle Gleicy. Très pauvre, elle a élevé seule, avec beaucoup de difficultés, ses 5 enfants, son mari l’ayant abandonnée. Ils sont déjà tous adolescents ou jeunes adultes au moment où leur mère prend Maria-Clara pour l’élever. Et tous acceptent Maria-Clara comme leur petite soeur, aidant leur mère à s’en occuper. 

Maria-Clara grandit dans cette famille misérable mais aimante. D’autres voisines aident parfois Gleicy en lui donnant un peu de lait, quelques langes, car elle a très peu de moyens financiers.

Malheureusement, le quartier est non seulement misérable, mais aussi dangereux et violent, le trafic de drogue y étant très présent. Un des fils de Gleicy, Paulo, n’y résiste pas et entre dans le trafic. A cause de ça, la famille commence à vivre un enfer, les menaces atteignent toute la famille. Bien qu’elle soit encore petite, Maria-Clara voit la souffrance de sa mère, car c’est ainsi qu’elle considère Gleicy, comme sa mère. Elle n’a plus aucun contact avec ses parents biologiques. Lorsqu’ils sont sortis de prison, ils n’ont jmais cherché à revoir leur petite fille.

Lorsque la petite a 8 ans, Gleicy vient avec Maria-Clara à Crianças do Mundo pour demander si nous pouvons l’accueillir. Ce serait une grande aide pour elle, et surtout une très bonne chose pour Maria-Clara qui recevrait toute l’aide nécessaire à tous niveaux, mais aussi qui serait à l’abri, au moins pendant la journée, des dangers du quartier. Elle raconte un peu à notre professeur Gislany l’histoire de Maria-Clara. Celle-ci n’hésite évidemment pas à accepter l’enfant.

Depuis qu’elle est avec nous, Maria-Clara évolue merveilleusement bien. C’est une petite fille intelligente et souvent joyeuse. Lorsqu’elle arrive triste chez nous le matin, c’est parce que la nuit chez elle n’a pas été bonne. Son « frère » Paulo est actuellement en fuite. Il a vendu de la drogue pour le chef des trafiquants, mais ne l’a pas payé. Il est recherché par tout le gang. Régulièrement, l’un ou l’autre des membres du gang envahit la pauvre barraque où vit la famille de Maria-Clara, et interroge Gleicy sur le lieu est est caché son fils. La pauvre ne le sait même pas. Maria-Clara a déjà vu sa mère recevoir des coups de ces membres du gang. Et dernièrement, elle est arrivée appeurée chez nous, car pendant la nuit, un trafiquant est entré chez elles et a menacé sa mère de mort, tenant une arme contre son front, si elle ne dénonçait pas son fils. Maria-Clara a assisté à toute la scène. Il ne l’a finalement pas tuée, mais elle reste sous la menace. Marie-Clara me raconte ce qui s’est passé, visiblement perturbée et très effrayée. Elle me dit : « Qu’est-ce que je vais devenir si ma maman est morte ? » ! Comment trouver les mots pour rassurer une petite fille dans une telle situation ?!

Certains jours, Maria-Clara ne vient pas. Nous apprenons par la suite qu’elle n’a pas osé sortir de chez elle, parce qu’il y avait des échanges de tirs entre les deux gangs rivaux du quartiers, et que les balles sifflaient autour d’eux. Tous les habitants du quartier restaient terrés chez eux.

Malgré cette vie bien difficile, Maria-Clara continue à être cette petite fille joyeuse la plupart du temps. Elle dit devant nous toutes qu’elle aime profondément sa maman et qu’elle espère la garder encore très longtemps à ses côtés, car elle sait tout ce qu’elle lui doit. Elle sait que sans sa maman, qui l’a accueillie à 3 mois, elle ne serait sans doute plus de ce monde et elle espère pouvoir un jour aider sa maman à sortir de la misère. Elle compte bien étudier et pouvoir trouver un bon emploi plus tard, pour pouvoir y parvenir.

Pendant tout son récit, Maria-Clara est très émue et bouleversée par moments ; les larmes coulent sur ses joues, mais elle n’essaye pas de s’en cacher. Aucune des autres petites filles ne se moque d’elle. Au contraire, certaines pleurent avec elle, avec compassion, devant tout ce que Maria-Clara a vécu et vit encore. Nous vivons un moment très émouvant.  La meilleure amie de Maria-Clara se lève et vient la serrer très fort dans ses bras, lui témoignant ainsi son amitié. C’est très touchant et tout le monde ressent une grande émotion.

C’est cela aussi Crianças do Mundo. Ce n’est pas seulement l’accueil des enfants, l’aide dans tous les domaines possibles. C’est aussi la création de liens affectifs forts, le don de soi, l’amour et l’amitié, le partage des joies mais aussi de la souffrance et de la peine des autres. 

Maria-Clara est aimée de toutes et tous ici. Elle sait qu’elle peut compter sur nous si elle a besoin d’aide, si elle a besoin d’une oreille attentive, si elle a besoin de réconfort. L’amour et l’amitié lui sont acquis. Et nous veillerons toujours à ce qu’elle se sente bien au milieu de nous, en sécurité et entourée de l’affection de tous.

                                                                                                   Evelyne


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