Nous sommes fin juillet. Un de nos enfants, un petit garçon de 10 ans qui s’appelle Matheus, manque de plus en plus souvent à Crianças do Mundo. Cela nous inquiète, car nous savons qu’il n’a pas une situation familiale stable. Nous essayons d’entrer en contact par téléphone avec la mère de Matheus, sans succès. Le rares jours où Matheus apparaît chez nous, il est sale, amaigri et manifestement affamé. Lorsque nous lui demandons pourquoi il est si souvent absent, il baisse la tête et ne répond pas.
Nous avons appris par une proche de la mère de Matheus que celle-ci allait bientôt déménager dans un logement social reçu de la préfecture. Il se situe bien plus loin de chez nous, dans un des quartiers les plus éloignés du centre-ville. La personne qui nous informe nous a dit que la mère de Matheus ne veut pas le prendre avec elle et qu’elle a placé Matheus chez une de ses filles aînées. Lorsque son amie lui a demandé pourquoi elle ne prenait pas son gamin avec elle, la mère de Matheus a répondu : « C’est toi qui vas payer les frais ? Ça coûte un gosse !» C’est vraiment affreux pour une mère de dire ce genre de choses !
Enfin, voilà notre petit Matheus chez sa soeur aînée. Les rares fois où il vient chez nous, je lui demande pourquoi il manque tant, et il me répond que sa soeur ne veut pas le laisser venir, car il doit garder son petit neveu d’un an et s’occuper de la maison. Elle lui aurait dit que maintenant qu’il vit chez elle, il ne doit pas s’imaginer qu’il va être nourri pour rien, qu’il doit faire quelque chose en échange... Pauvre Matheus ! Sa mère ne veut pas de lui « parce que ça coûte cher d’élever un gosse », et sa soeur ne l’accepte que parce qu’elle n’a pas le choix, mais il ne peut pas vivre chez elle « gratuitement ». A 10 ans ! Ça fait vraiment très mal d’entendre ça et de voir le manque d’amour criant qui entoure notre petit Matheus. Il est rejeté de tous côtés. D’autre part, comment un enfant de 10 ans peut-il s’occuper d’un bébé d’un an ? C’est tout à fait insensé et irresponsable ! Que pourrait-il faire s’il arrivait quelque chose au bébé ?!
Devant cette situation, je décide d’aller rendre visite à la mère et à la soeur de Matheus. Arrivée chez sa mère, je l’appelle et elle sort de sa maison. Je lui explique la raison de ma visite, notre grande préoccupation pour Matheus. Je lui dis que depuis que Matheus vit chez sa soeur, il manque tout le temps parce qu’elle ne le laisse pas venir chez nous. Je demande à la mère de reprendre Matheus avec elle, que c’est vraiment important pour lui. Mais elle ne veut pas. Elle me dit qu’il est bien mieux chez sa soeur, parce qu’elle est très sévère, qu’il en a peur, et qu’ainsi il lui obéit, tandis qu’avec elle, il n’écoute pas. Etonnant qu’une mère ne parvienne pas à faire obéir son gamin de 10 ans... J’insiste, disant que la place de Matheus est auprès d’elle, mais rien à faire, elle refuse de le reprendre.
Je lui demande alors de m’accompagner chez la soeur de Matheus, pour que nous en parlions ensemble. Elle ne montre aucun enthousiasme, mais j’insiste. Je la sens assez nerveuse et elle tente alors à plusieurs reprises de téléphoner à sa fille, manifestement pour la prévenir de notre arrivée. Nous montons plus en hauteur sur la colline et nous arrivons chez sa fille. La barraque où ils vivent est vraiment en très mauvais état et tout est très sale. La mère de Matheus appelle sa fille, mais celle-ci n’apparaît pas. Nous entrons dans la maison et nous entendons des voix à l’arrière, mais personne ne vient. Je remarque sur la table un pot avec des cigarettes de Marijuana et je reconnais l’odeur qui plane dans la pièce. Il n’est que 10h du matin. Je remarque aussi quelques pierres de crack. Des cannettes de bière vides traînent par terre dans tous les coins. La mère semble gênée, c’est sans doute pour ça qu’elle voulait prévenir sa fille de notre arrivée, mais celle-ci n’a jamais répondu à ses appels. Je demande à la mère de Matheus qui habite dans la maison en dehors de sa fille aînée. Elle me répond qu’il y a le copain de sa fille, ainsi qu’ un autre de ses fils, de 16 ans, avec sa petite copine. Manifestement, la consommation d’alcool et de drogue ne manque pas. J’essaye de faire comprendre à la mère que ce n’est vraiment pas un cadre de vie sain pour un enfant de 10 ans, mais elle n’a pas l’air de s’en soucier. Rien ne semble la convaincre que ce serait beaucoup mieux pour Matheus de retourner vivre avec elle. Mais elle ajoute qu’elle va veiller à ce que Matheus ne manque plus à Crianças do Mundo. Et après m’avoir dit ça, elle disparaît à l’arrière où elle va probablement parler à sa fille de ce que nous avons convenu. J’entends que ça discute ferme là derrière.
Elle réapparaît après quelques minutes et sa fille refusant manifestement tout contact avec moi, nous repartons. Pendant que nous redescendons la colline, j’entends en une fois des cris. Je me retourne et je vois la soeur de Matheus qui est enfin sortie de chez elle et qui, sur le chemin, hurle comme une furie un tas d’injures, probablement contre moi. Elle doit être en rage du fait que nous avons convenu sa mère et moi que Matheus devait venir chez nous tous les jours. La mère de Matheus fait semblant de ne rien entendre ; quant à moi, j’ignore ses cris et nous continuons à descendre la colline. De retour devant sa maison, je redis à la mère de Matheus qu’elle doit tenir parole et veiller à ce que Matheus ne manque plus à Crianças do Mundo. Elle promet et je repars. Je me sens impuissante, bouleversée par tout ce que j’ai vu et entendu. J’imagine l’enfer que doit vivre notre petit Matheus tous les soirs quand il rentre dans sa famille. Je me dis que si nous avions encore un internat, Matheus serait le premier à y être accueilli ; sa famille ne demanderait pas mieux que de s’en débarasser et Matheus trouverait enfin l’amour et l’affection dont un enfant a tellement besoin. Mais voilà, ce n’est hélas plus possible. Il va donc falloir essayer d’aider Matheus le mieux possible dans les circonstances actuelles.
Le lendemain matin, je suis au Centre d’Activités à 6h45, comme tous les matins, pour y accueillir les enfants quand ils arrivent avec notre bus. Je suis impatiente de voir si Matheus est venu. Mais hélas, lorsque tous les enfants sont arrivés, je constate qu’il n’y est pas. La promesse de la mère n’a pas été tenue. Je lui téléphone donc pour savoir pourquoi le petit n’est pas venu, alors qu’elle avait promis qu’il ne manquerait plus. Sa voix me dit qu’elle dormait encore, mais elle me répond qu’elle va demander à sa fille. Celle-ci lui répond par un message que la mère me transmet aussitôt. Le message est choquant. Ce ne sont qu’injures et gros mots, que je ne vous communiquerai pas ici. Juste un petit extrait, pour que vous compreniez avec qui notre petit Matheus est obligé de vivre. Sa soeur dit entre autres choses dans son message qu’elle n’est pas responsable si « cette m.... de Matheus » n’est pas allé à Crianças do Mundo, que c’est à lui de s’éveiller tout seul pour y aller ! Vous en connaissez beaucoup vous des enfants de 10 ans qui s’éveillent tout seul à 6h du matin pour partir à l’école ou ailleurs ? La méchanceté et l’insensibilité de cette femme sont incroyables. Je crains que Matheus ne se fasse battre, car il est déjà arrivé plein de marques de coups dans le dos et sur les jambes et les bras. Matheus est un enfant martyr et notre impuissance fait mal.
Heureusement, le lendemain, Matheus est dans le bus. Je le vois arriver pour venir prendre son petit déjeûner. Il semble affamé, et mange trois petits pains avec deux verres de lait au chocolat. Lorsqu’il a fini de déjeûner, je l’appelle pour parler un peu avec lui. Je lui demande comment s’est passée la journée d’hier où il n’est pas venu chez nous. Il semble triste et me dit que sa soeur n’a fait que crier sur lui et l’insulter, le traitant de bon à rien. Je bavarde un peu avec lui, pour le consoler et lui dire qu’il est un formidable petit bonhomme et qu’il a beaucoup de valeur pour nous. Il dit qu’il aime beaucoup venir à Crianças do Mundo où il se sent aimé et où il a de bons copains, mais que ce n’est pas sa faute s’il manque souvent, il n’arrive pas à se réveiller tout seul. Comme je sais maintenant que sa soeur ne l’éveille pas le matin, je lui demande si ça l’aiderait d’avoir un réveil, et il me fait un grand sourire en me disant que oui. Je lui promets qu’il en aura un très vite. Je le laisse alors pour qu’il aille jouer un peu et se détendre avec les autres enfants avant son étude.
Je sors dans la matinée pour aller acheter un réveil pour Matheus. Comme ça, il pourra commencer à l’utiliser dès le lendemain. Et effectivement, tous les jours suivants, Matheus est présent ! Il est plus souriant, même si nous savons que sa vie en famille continue bien difficile pour lui. Je continuerai d’insister auprès de sa mère pour qu’elle comprenne enfin qu’elle doit reprendre son fils auprès d’elle. Au moins, maintenant qu’il ne manque plus chez nous, il est avec ses amis, il fait les activités qu’il aime, il est bien alimenté, et surtout, il reçoit beaucoup d’amour et d’affection de tous. C’est incontestablement ce qui lui manque le plus. Tout ce que nous offrons chez nous à tous nos enfants est important : l’éducation, l’alimentation, les vêtements, l’hygiène, l’étude et les jeux, le sport ... Mais sans l’amour et la tendresse, tout cela tomberait dans le vide et ne porterait pas ses fruits. Alors nous continuons, tous ensemble, à offrir à tous ces enfants blessés par la vie, un maximum d’amour. Et grâce à ça, ils vivent !
Evelyne
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