dimanche 12 septembre 2021

Adieu, Michel !

Vendredi 6 août, jour de l’anniversaire de Michel. J’avoue que Sr Elisabeth et moi-même étions un peu « sem jeito » comme on dit en portugais, gênées ... Souhaiter  un joyeux anniversaire à une personne en fin de parcours et qui le sait encore mieux que vous, n’est pas chose aisée. L’estime et l’amitié l’emportant, nous voilà sur la terrasse, covid oblige, attendant la sortie de Michel. Surprise, c’est un Michel souriant, plaisantant, visiblement heureux qui nous reçoit. Et nous voilà, discutant allègrement de tout et de rien comme tant de fois dans le passé. 

Soudain, des éclats de voix, des rires nous parviennent de derrière les bosquets et surgissent les enfants présents ce jour-là. Accompagnés de leurs professeurs et agitant des ballons bleus, eux aussi viennent souhaiter l’anniversaire.

Une pensée fugace me traverse l’esprit « Et si c’était le dernier anniversaire ? ». Mais j’étais loin d’imaginer que moins d’une semaine plus tard, nous serions tous réunis à nouveau devant un cercueil fermé. Décontenancés au début, les gamins écouteront attentivement les hommages des adultes : les fils de Michel et Evelyne, l’un ou l’autre employé ou membre de la fondation, puis à leur tour, spontanément, ils exprimeront ce qui déborde de leur coeur.

Je me contenterai de souligner l’un ou l’autre témoignage qui m’ont marquée plus spécialement.

« Je m’appelle Arthur. J’étais un gamin très difficile, venant d’une famille totalement déstructurée : violence, drogue, alcool ...Michel avait détecté en moi quelques capacités et ne me lâchait plus. Il croyait en mes possibilités et c’est pourquoi il exigeait de moi, même et surtout lorsque je rechignais et traînais les pieds. Aujourd’hui, je viens d’être admis en faculté de médecine avec une bourse de 100%. Merci Michel d’avoir fait de moi la personne que je suis aujourd’hui. Ton enseignement me poursuivra dans toute ma vie d’adulte. »

Et ce jeune, tellement ému que les mots se bousculent, les phrases sont un peu chaotiques, avant de dire dans un sourire lumineux au milieu des larmes : « Voyez, aujourd’hui j’ai un beau sourire, de belles dents ! C’est à Michel que je les dois ! » Oui, Michel n’était pas seulement l’intellectuel, mais aussi attentif à la santé physique et psychique de ses enfants.

Comment ne pas sentir un frisson vous glacer le sang devant les paroles de ce gamin de 10-11 ans. « L’homme qui est à la maison, ce n’est pas un père pour moi, rien, rien d’un père. C’est comme si je n’existais pas pour lui et réciproquement. Un père, je l’ai trouvé à Crianças do Mundo. Mon père c’est Michel ! »

Me restera longtemps devant les yeux l’image de ce petit gavroche, le plus petit de tous sans doute, s’avançant près du cercueil avec un petit copain pour se donner du courage. Ses « chinelos » (des tongs) usés jusqu’à la corde, ses vêtements délavés, je suppose que l’uniforme de Crianças do Mundo n’a pas eu le temps de sécher, ne laissant aucun doute sur ses origines. Par trois fois, il essayera de s’exprimer, mais l’émotion est trop forte et il se jette à terre en pleurant...

A plusieurs reprises, la chambre mortuaire vibrera sous les applaudissements : Michel, Michel, Michel...

Que représentait donc Michel pour ces milliers d’enfants des faubourgs passés par Crianças do Mundo au long de plus de 34 ans ? Une alimentation équilibrée, certes, mais simple - un soutien scolaire qui leur permettait de quitter les derniers rangs de la classe – de l’espace, un terrain de jeux au milieu d’une nature exubérante – mais surtout, une présence intense et constante d’un père soucieux à la fois de l’aujourd’hui et de l’avenir des enfants. Michel, le visionnaire ! – une vie de famille où l’on sait dire bonjour et merci ; où l’on sait s’embrasser en disant tout simplement « je t’aime », où l’on sait aussi demander pardon. Michel, un peu soupe au lait parfois, ne manquait jamais de s’excuser lorsqu’un enfant avait été chagriné plus qu’il ne l’aurait voulu.

Et pour nous, Soeurs de la Providence à Coronel Fabriciano, qui étais-tu Michel ? Nos activités certes sont différentes, et tu les respectais. Mais tu représentais le roc, l’homme qui avait toujours la solution. Le service demandé était rendu dans l’heure. Et puisque nous sommes en Amérique Latine, je me permets de dire que tu étais le « Cacique », avec tout le respect que je porte à ce tître : le chef, le père, l’ami et compagnon sur lequel on peut compter dans toutes les circonstances.

Tes origines vous destinaient, Evelyne et toi, à une vie bourgeoise, confortable dans votre Belgique natale. Vous avez opté pour une vie austère, presque monacale, dans cette lointaine Amérique Latine. Vous avez voulu une grande propriété, car il fallait de l’espace pour ces enfants entassés dans les masures des bidons-villes.

Merci Michel pour tout ce que tu as réalisé, souvent dans l’obscurité et l’indifférence des pouvoirs publics. Merci surtout pour ce que tu as été pour nous, pour les enfants, les employés de votre équipe.  Et je terminerai  par l’expression chère au Brésil et combien significative au moment de « l’À Dieu ».

                                            

         Michel à jamais présent parmi nous ! »                            Sr Laurent-Marie


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire