vendredi 20 septembre 2019

La si difficile histoire de Thales

Nous sommes début août 2018. Une femme se présente à Crianças do Mundo avec son petit garçon; ils viennent faire l’inscription de l’enfant. Il s’appelle Thales et a 9 ans. C’est un petit blondinet aux yeux clairs, pas vraiment le type brésilien comme on se l’imagine souvent. Mais il y a un tel mélange de races dans la population de ce merveilleux pays, avec des enfants du plus blanc au plus noir, c’est ce qui fait la beauté de ce peuple.

Pendant que Michel reçoit Thales pour l’entrevue d’inscription, je bavarde un peu avec sa mère qui attend au bureau. Elle me raconte son histoire et celle de son fils. Elle est partie aux Etats-Unis, comme le font beaucoup de brésiliens, dans la tentative d’améliorer sa vie. Elle y a rencontré un compagnon avec lequel elle a eu Thales. Mais le rêve américain ne se réalisant pas, elle a décidé de rentrer au Brésil. Son compagnon, américain,  n’a bien entendu pas voulu la suivre et elle est revenue seule avec Thales. Son père n’a plus pris contact avec eux par la suite et Thales ne se souvient pas de son père, étant trop petit lorsqu’ils sont revenus au Brésil.

Suite à l’entrevue de Michel avec Thales, le petit garçon est accueilli chez nous le 16 août. Dès les premiers jours, nous découvrons un enfant doux, gentil avec tous, mais en manque d’affection évident. Il s’adapte bien parmi les autres enfants et ne donne aucun problème. Mais au fil des jours, nous constatons que Thales manque souvent, au moins deux jours par semaine. Quand il vient, il explique ses absences par le fait qu’il se lève trop tard et perd le bus de Crianças do Mundo. Lorsque je me rends à l’école, je découvre le même problème : Thales est un enfant gentil, mais qui manque souvent et a un retard d’apprentissage assez important. Je rencontre sa mère et elle promet que les choses vont s’améliorer, qu’elle n’a pas facile d’élever Thales seule. Pendant un temps, Thales manque un peu moins, mais ses problèmes d’apprentissage sont évidents. Il est en troisième primaire, mais a du mal à suivre, lisant avec difficulté. Notre professeur d’alphabétisation travaille avec lui pour essayer de récupérer son retard. L’année se termine, ce sont les grandes vacances d’été en décembre-janvier.
Lorsque nous reprenons fin janvier 2019, nous avons le plaisir de retrouver notre petit Thales, tout content de revenir chez nous et de retrouver ses amis. La nouvelle année scolaire commence début février et tout reprend son rythme normal. Mais bien vite, nous constatons que Thales manque à nouveau souvent, tant à Crianças do Mundo qu’à l’école. Nous sentons qu’il y a un problème dans sa vie. Il nous semble bien souvent triste et plongé dans ses pensées, mais il ne raconte pas grand chose. Il est aussi bien difficile de l’aider au niveau scolaire avec toutes ses absences. Mais petit à petit, Thales s’ouvre davantage et nous découvrons que sa vie est bien difficile. Sa mère est devenue alcoolique et ne s’occupe plus guère de lui. Elle sort tous les soirs dans les bars et Thales est livré à lui-même. Parfois, quand il rentre de l’école vers 18h, sa mère n’est pas à la maison et il ne sait pas rentrer chez lui. Il erre un peu dans les rues, en attendant que sa mère rentre, mais quand elle ne revient pas, il doit aller chez l’un ou l’autre de ses amis pour trouver un endroit où dormir. Si sa mère rentre, elle est ivre et ne s’occupe pas de lui. Le lendemain matin, elle ne s’éveille pas à temps et Thales perd le bus de Crianças do Mundo, d’où la raison de ses absences fréquentes. Nous essayons d’aider Thales du mieux que nous le pouvons, mais ce n’est pas évident vu les circonstances familiales.
Fin juin, suite à une plainte anonyme, Thales est retiré de la garde de sa mère par le Service de Protection de l’Enfance. Il est placé dans la famille d’un oncle et d’une tante, qui acceptent d’accueillir Thales malgré leurs conditions un peu difficiles. Ils habitent au centre ville, et Thales ne pourra donc plus venir chez nous. Mais nous avons notre maison d’accueil au centre ville, où il pourra être accueilli sans problème.

Il doit bien sûr aussi quitter son école. C’est un changement de vie radical pour le pauvre gosse, et il est bien perturbé. Il ne reste que deux semaines de cours avant les petites vacances d’hiver, qui ont lieu la deuxième quinzaine de juillet, et il va devoir s’adapter dans une nouvelle école. Dans notre centre d’accueil en ville, il s’intègre heureusement très bien. Toute notre équipe pédagogique ainsi que tous les autres enfants l’accueillent avec beaucoup de gentillesse et d’attention, et il est entouré de beaucoup d’affection pour l’aider à surmonter cette phase difficile de sa vie.
Les petites vacances de juillet commencent et nous sommes rassurés de savoir Thales chez son oncle et sa tante, et non plus livré à lui-même pendant que sa mère fréquente les bars. Mais lorsque les enfants reviennent début août et que l’école reprend, nous apprenons que la mère de Thales est allé le rechercher chez son oncle et l’a ramené à la maison. Elle veut qu’il vive à nouveau avec elle. Nous prévenons le Service de Protection de l’Enfance qui convoque la mère de Thales. Il semble qu’elle ait été très convaincante, car elle reçoit l’autorisation de garder son fils, mais avec un suivi de leur assistante sociale. Et voilà notre petit Thales qui retourne à son ancienne école et nous l’accueillons à nouveau chez nous, où il retrouve ses anciens amis.
Depuis son retour chez nous, Thales vient plus régulièrement. Il manque encore parfois, mais moins fréquemment qu’avant. Il semble que sa mère fasse un effort pour mieux s’occuper de lui. Elle sait qu’elle risque de perdre à nouveau la garde de son fils si elle continue à boire et à nuire à son enfant. Thales est d’ailleurs plus ouvert et joyeux et nous sommes heureux de le voir s’épanouir. Il a encore beaucoup de retard scolaire à rattraper, mais nous allons l’y aider. Il est avide d’affection, et de ce côté, il est bien entouré par tous chez nous.
Depuis quelques années, un grand changement s’est opéré au niveau des familles des enfants que nous accueillons. Ce n’est plus seulement la misère matérielle qui les affecte, mais une misère morale et sociale. De plus en plus de mères boivent, se droguent ou abandonnent leurs enfants, ce qui était avant surtout le cas des pères. De plus en plus de nos enfants sont élevés par leur grand-mère, par une tante, par un oncle même, n’ayant plus ni père ni mère pour s’occuper d’eux. Cela laisse des traces et des blessures profondes, que nous tentons d’atténuer à Crianças do Mundo, en donnant à ces enfants tout l’amour et la tendresse dont ils manquent cruellement dans leurs familles. Nous ne pouvons pas remplacer une mère ou un père, mais nous pouvons offrir à ces enfants le bonheur auquel ils ont droit, l’amour dont ils sont en manque, et l’affection dont ils sont si avides. C’est ce que nous faisons, avec toute notre équipe, depuis plus de trente ans maintenant. Et je vous assure que le résultat vaut la peine! Il n’y a pas de plus belle récompense que le premier sourire d’un enfant malheureux, et tous ses sourires qui viennent ensuite au fil des jours. Quand on a la chance de le vivre, c’est merveilleux! C’est un petit coin de ciel bleu dans la grisaille parfois présente au quotidien. Et ça, ça n’a pas de prix!

Evelyne

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