vendredi 18 septembre 2020

Petit Mateus: une famille dans la misère noire !

 



Le 11 février 2019, nous recevons pour son premier jour à Crianças do Mundo un petit garçon de 9 ans, Mateus. Petit blondinet, pas vraiment le type brésilien comme on l’imagine souvent, il paraît plutôt 7 ans. Petit et maigrichon, il ne manque pourtant pas d’énergie. Tout de suite à l’aise, pas du tout timide, il se mêle très vite au groupe. Au fil des jours, nous découvrons un petit garçon sympathique et vif, mais pas du tout facile. Très agité, sans limites, il donne pas mal de travail à toute l’équipe. Mateus a du mal à respecter les règles et les horaires d’activités. Mais nous remarquons que c’est un petit bonhomme sans méchanceté et qui a un bon fond.

Je me rends régulièrement à l’école de Mateus et à chaque fois, j’entends les mêmes observations. Mateus est vif et capable, mais son comportement agité ne permet pas un bon apprentissage. Il circule sans cesse dans la classe, bavarde beaucoup et perturbe les autres enfants. Il participe peu et ne réalise pas beaucoup d’activités. Il sort parfois de la classe sans demander la permission et n’obéit guère à son institutrice. Je rencontre un jour la maman de Mateus à l’école où elle avait été appelée par la directrice, et nous bavardons un bon moment ensemble au sujet de son fils. Je lui dis que j’aimerais aller un jour jusque chez elle, afin de connaître mieux la famille et le lieu de vie de Mateus. Mais je sens une certaine réticence de sa part; elle me dit qu’elle travaille et que c’est difficile de trouver un horaire qui lui convient. Les familles sont parfois gênées de me recevoir chez elles, à cause de leur pauvreté. Dans ce cas, je respecte leur décision et je n’insiste pas, attendant un peu qu’une relation plus proche s’installe entre nous.


Petit à petit, tout au long de l’année, nous travaillons avec Mateus pour qu’il évolue et apprenne à vivre en harmonie avec tous et à respecter les règles de vie. Et nous avons la joie de constater, au fil des mois qui passent, une nette évolution chez Mateus. Tant chez nous à Crianças do Mundo qu’à l’école, Mateus devient plus calme, ne donne plus de travail à l’étude ou pendant les activités sportives. Il apprend à respecter les instructions et devient plus obéissant. A l’école, il reste plus tranquille en classe et participe davantage aux activités de salle. Son institutrice est vraiment satisfaite de son évolution. Il semble évident que Mateus avait besoin de limites. L’année scolaire se termine et son apprentissage est tout à fait satisfaisant. Les grandes vacances sont là et nos enfants vont être absents un mois. C’est une période toujours difficile pour tous, pour les enfants qui aiment venir chez nous, et aussi pour nous tous les adultes. Mais nous n’avons pas le choix, notre équipe a droit et aussi besoin de ses vacances, car le travail avec les enfants pendant toute une année est très satisfaisant et valorisant, mais n’est pas de tout repos.


Fin janvier 2020, Crianças do Mundo accueille à nouveau les enfants. Les écoles ne reprenant que vers la mi-février, nous travaillons en horaire spécial avec les enfants; c’est-à-dire qu’ils viennent tous ensemble, le groupe du matin et ceux de l’après-midi, entre 10h et 17h. Ces journées en horaire spécial permettent un meilleur contact entre tous nos enfants, ils apprennent à se connaître tous. Et ce sont des journées très agréables, avec seulement des jeux et du sport, sans étude puisqu’il n’y a pas école. Tout cela se passe dans une excellente ambiance, dans la joie et le bonheur des retrouvailles. Puis à la mi- février, les écoles ouvrent à nouveau leurs portes pour le commencement d’une nouvelle année scolaire. Cette reprise sera hélas de courte durée ... le Covid 19 arrivant au Brésil vers la mi-mars. Les écoles ferment  leurs portes et une semaine plus tard, le vendredi 20 mars, nous nous voyons dans l’obligation de fermer Crianças do Mundo également. Cette décision, mûrement refléchie, a été très pénible à prendre, sachant combien la situation serait difficile pour tous nos enfants. Ils vivent souvent dans des conditions très dures et revenaient d’un mois de vacances déjà non souhaité. Mais il fallait bien le leur annoncer. Ils ont compris, mais des larmes ont coulé... Surtout que nous n’avions cette fois aucune idée de combien

de temps durerait cette fermeture. Nous n’avions en tout cas jamais pensé que nous resterions des mois sans pouvoir accueillir nos enfants!...


Ces mois de confinement ont été très pénibles pour tous, dans le monde entier. Ici à Crianças do Mundo, nous essayons de passer ces mois de la manière la plus positive et utile possible. Nos professeurs, après 2 mois de confinement chez elles, reviennent et organisent petit à petit le retour des enfants, toujours sans savoir le délai que cela prendra encore. Celles qui savent coudre font 600 masques pour nos enfants. D’autres font des peintures murales pour égayer les bâtiments qui accueillent les enfants. Nous installons de nouveaux lavabos à plusieurs endroits stratégiques, ainsi que des distributeurs d’alcool en gel. Et puis nos professeurs commencent à préparer des cahiers d’exercices pour les enfants, adaptés au niveau de chacun. Michel entre en contact avec toutes les familles par la chaîne de transmission de whatsapp. Les familles qui ne l’ont pas sont prévenues par les autres familles, car la solidarité existe vraiment entre les familles pauvres. Tous les mercredis après-midi, je pars en camionnette avec un de nos employés, Sidney, afin de distribuer aux points de rencontre définis, les cahiers à chacun des enfants. Ces cahiers sont accompagnés d’un goûter copieux et délicieux, préparé par notre boulanger. La plupart des enfants vient au point de rencontre et ça fait très plaisir de les voir, ne fut-ce que quelques minutes. Notre petit Mateus n’est pas au rendez-vous les deux premiers mercredis, mais par la suite, il ne manque plus jamais. A chaque rencontre, je le sens triste. Il parle peu et ne sourit jamais. Je ne reconnais plus le petit Mateus joyeux et animé, plein d’énergie  que nous connaissons. Je lui demande comment ça va chez lui, et il hausse les épaules avec une petite moue qui en dit long. Il a maigri, est mal vêtu et un peu sale. Préoccupée, j’en parle à Michel au retour et nous décidons de leur préparer un gros colis alimentaire. Michel étant une personne à haut risque à cause de sa maladie, j’évite ces temps-ci de me rendre dans les familles vivant dans les quartiers pauvres, plus atteints par le virus. Nous demandons donc à Sidney de porter le colis alimentaire dans la famille de Matheus. A son retour, il nous dit que le colis a fait très plaisir, ils en avaient manifestement besoin. Il ajoute que les conditions de vie de la famille semblent bien difficiles, et que les personnes qui vivent dans la maison sont nombreuses. Nous essayons d’en savoir un peu plus, et nous apprenons qu’en plus de Matheus et ses parents, vivent là les grands-parents, ainsi qu’un oncle et une tante avec leurs enfants. Il n’y a que la maman de Mateus qui travaille. La grand-mère fait les poubelles pour récolter les plastics, cartons, aluminium et papiers pour vendre au recyclage. A Crianças do Mundo, nous séparons et rassemblons toujours tous les cartons et plastics. Nous en avons déjà une quantité importante. Nous décidons alors d’aller les porter chez Mateus; ce sera une autre façon d’aider la famille. J’accompagne cette fois Sidney, avec toutes les précautions nécessaires, car je veux me rendre compte moi-même sur place des conditions de vie de la famille. Nous devons faire deux voyages en camionnette pour parvenir à tout transporter. Ce sera une grande aide pour la famille; la grand-mère aurait dû faire les poubelles pendant des mois pour rassembler la quantité de déchets recyclables que nous leur avons portés. Quand nous arrivons, c’est la tante qui nous reçoit, un bébé dans les bras. Elle nous indique où tout décharger, dans la rue devant la maison.  La grand-mère apparaît peu après, un air très revêche, ne nous saluant pas. Tout en déchargeant, j’observe la maison. C’est une maison en brique, mais en très mauvais état. Ce qui est assez effrayant, c’est la saleté partout, des détritus dans tous les coins. Mateus arrive un peu après, pieds nus au milieu de ces crasses. Il a un simple petit short et une vieille couverture sur le dos qui le protège du froid de l’hiver. Il est 9h du matin et il vient manifestement de se lever. Il n’a probablement rien à manger. Je lui donne un paquet de biscuits que j’avais emmené avec moi et il commence à les manger avidement;  il semble avoir faim. Sa grand-mère commence à réclamer sur Mateus, lui intimant avec brusquerie de rentrer dans la maison. Elle semble très dure avec lui. Mateus n’obéit pas, il reste près de nous. Elle menace à plusieurs reprises Mateus de le battre, mais il ne l’écoute pas. Il veut manifestement profiter un peu de notre présence et de notre affection envers lui, et il se sent probablement protégé en restant à nos côtés. La grand-mère finit par rentrer dans la maison, rouspétant en disant des gros mots. Il semble que l’amour et l’affection soient bien absents de cette maison. Je ressens une grande tristesse pour notre petit Mateus; il doit être bien malheureux et je le lis dans ses yeux. J’aimerais voir l’intérieur de la maison, mais je n’en ai pas l’occasion, la tante ne semble pas avoir envie de me faire entrer. Peut-être une autre fois... Je comprends pourquoi Mateus est si triste; la vie dans cet endroit doit être déprimante, et cela fait déjà 4 mois qu’il y vit constamment, sans école et sans Crianças do Mundo. Je ressens une telle impuissance devant cette situation et devant la tristesse du petit Matheus! Nous ne pouvons hélas rien faire d’autre que cette aide sporadique et d’urgence. Je parle un peu avec Mateus et essaye de lui donner un peu de courage pour tenir bon jusqu’à ce que nous puissions à nouveau l’accueillir à Crianças do Mundo. Il peut être certain que nous ne le laisserons pas tomber. Nous l’aiderons de notre mieux et il peut faire appel à nous à tout moment si les choses deviennent trop dures pour lui. Il me fait un petit sourire triste. J’aimerais tant le serrer dans mes bras et le réconforter un peu en lui transmettant tout l’amour que je ressens pour lui! Mais à cause de ce terrible Covid 19, cela nous est hélas interdit. Nous repartons, avec l’espoir d’avoir un peu réconforté le petit Mateus et celui de pouvoir bientôt l’accueillir à nouveau, ensemble avec tous nos autres enfants.


La situation de Mateus reflète bien la difficulté dans laquelle beaucoup de nos enfants se rencontrent pendant cette terrible pandémie. Livrés à eux-mêmes, un peu abandonnés à leur triste sort, ils risquent de partir sur un mauvais chemin. Nous ne pouvons pas faire de miracles. Mais au moins, nous maintiendrons notre contact hebdomadaire avec chacun d’entre eux et nous continuerons à fournir l’aide d’urgence aux familles dans le besoin. Il nous reste à espérer voir bientôt la fin de cette pandémie, retrouver le sourire et la joie de nos enfants revenant chez nous, et entendre à nouveau leurs cris ramenant la vie à Crianças do Mundo. Car sans eux, plus rien n’a de sens.

                                       

                                                            Evelyne

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