En février 2018, nous accueillons un petit garçon de 8 ans, Igor. Il habite avec ses parents et un petit frère de 6 ans, Ícaro, dans un quartier pas loin de chez nous. Son père, Patrick, tient un petit bar-commerce qui leur permet de vivre plus ou moins décemment. Sa maman, Eva, aide un peu au bar et s’occupe des enfants. Ils vivent à l’étage, juste au-dessus du commerce.
Chez nous, à Crianças do Mundo, Igor s’adapte bien et s’intègre vite parmi les autres enfants. Intelligent, il est aussi bon élève à l’école et ne donne pas de travail. C’est un gentil petit bonhomme, joyeux et bien dans sa peau. L’année se déroule bien pour lui et les grandes vacances arrivent en décembre.
Lorsque Igor revient chez nous fin janvier, nous retrouvons notre petit bonhomme sympathique et rieur. Tout content de revenir, il reprend les activités à Crianças do Mundo avec enthousiasme. A l’école aussi, il commence une nouvelle année et tout se passe bien. Il vient aussi d’avoir un nouveau petit frère. Les mois s’écoulent, mais vers la fin de l’année, nous sentons que quelque chose a changé. Igor est resté un petit garçon doux et gentil, mais il semble plus renfermé, un peu triste. Quand on lui demande ce qui se passe, il dit qu’il n’y a rien. Mais les jours s’écoulent, et Igor commence à s’isoler un peu, à moins s’intégrer au milieu des autres enfants. Pendant que les autres jouent, lui reste assis dans un coin, triste et indifférent à ce qui se déroule autour de lui. Il continue à dire qu’il n’y a rien de particulier et ne s’ouvre pas. Les grandes vacances arrivent à nouveau en décembre et nos enfants vont rester un mois sans venir chez nous.
A la rentrée fin janvier de cette année 2020, Igor revient. Il semble heureux de retrouver tout le monde, grands et petits, même si nous le sentons toujours triste. Il demande si nous pouvons accueillir son petit frère Ícaro qui a maintenant 8 ans. Sa maman vient donc avec lui pour faire l’inscription, et quelques jours plus tard, il entre chez nous. Igor en est très heureux; il aime manifestement beaucoup son petit frère et il s’en occupe bien. Mais malgré tout, Igor redevient plus taciturne, il recommence à s’isoler des autres enfants, ne participe plus de la même façon enthousiaste aux diverses activités. Alors un jour, Michel l’appelle dans son bureau pour essayer de parler avec lui et découvrir ce qui perturbe Igor à ce point.
Il finit par s’ouvrir et explique que sa famille a beaucoup de problèmes. Son père a dû fermer son petit commerce, car il avait trop de dettes et n’en sortait plus. Ils ont donc dû quitter l’appartement où ils vivaient. N’ayant plus de ressources, ils se sont installés dans une masure qu’une tante a mise à leur disposition. Ils sont donc maintenant dans un quartier pauvre, très loin de la ville. C’est beaucoup plus difficile pour lui de venir à Crianças do Mundo. Il se lève très tôt, prend son vieux vélo jusqu’à un point de rencontre avec notre bus, attache son vélo à un poteau et prend notre bus à 6h15. Sa famille n’ayant plus de ressources, ils ne mangent pas toujours à leur faim. Et il n’a même plus de lit pour dormir, il doit dormir par terre. Igor pleure à gros sanglots, et n’arrive plus à parler. Michel le console de son mieux et lui promet que nous allons aider sa famille. Michel me raconte la conversation et me demande d’aller rendre visite à la famille de Igor, afin de voir leurs conditions de vie et ce que nous pourrions faire pour les aider au mieux.
Les parents ayant été prévenus par leur fils, je prends Igor avec moi le lendemain et nous nous rendons ensemble chez lui. Nous emmenons avec nous un gros colis alimentaire qui sera certainement le bienvenu. Le quartier où ils habitent est effectivement bien misérable. La masure se trouve en bord de ruisseau, avec le risque d’inondations que cela comporte en cas de fortes pluies. L’accueil des parents est réservé; ils sont souriants, mais je les sens un peu mal à l’aise malgré tout. Je commence à bavarder avec eux et leur explique ce qui m’amène chez eux. Le changement de comportement de Igor, sa tristesse, son isolement par rapport aux autres enfants, qui nous ont amené à parler avec lui et apprendre les difficultés qu’ils sont en train de passer depuis quelques temps. J’essaye de leur expliquer que beaucoup de familles passent parfois par des moments difficiles, qu’il n’y a pas de honte à avoir et que nous sommes là pour les aider s’ils acceptent notre aide. Au fil de notre conversation, les parents de Igor se détendent un peu et me racontent leurs problèmes. Ils seront heureux de recevoir de l’aide, car c’est vraiment très dur en ce moment, surtout pour les enfants qui ne comprennent pas bien cette dégringolade dans la misère. Patrick ne trouve pas de travail et la maman doit maintenant s’occuper de son bébé de 6 mois et n’a plus la possibilité de chercher du travail. La masure où ils vivent depuis quelques mois n’a que 3 pièces. Nous sommes assis dans un tout petit salon, et ils me montrent une chambre avec petit coin douche et une minuscule cuisine. Les parents dorment avec le bébé dans le seul lit qu’ils ont encore, et tous les soirs, au moment du coucher, ils étendent un vieux matelas par terre dans le petit salon, sur un sol en terre battue, où dorment Igor et son frère Ícaro. Je comprends combien leurs conditions de vie doivent être pénibles, et pourquoi Igor est si triste. Je demande aux parents s’ils acceptent un colis alimentaire, il est à leur disposition dans ma voiture s’ils le souhaitent. Malgré la gêne que je ressens chez eux, ils acceptent. Je leur promets que nous allons les aider le mieux possible.
Avec Michel, nous décidons que le mieux serait de leur trouver un autre logement, plus digne, et de les aider pendant quelques temps à payer le loyer, en attendant que Patrick retrouve du travail. Ils acceptent avec joie notre proposition, et c’est Patrick qui se met à la recherche de ce nouveau logement, convenable, plus près de la ville et de Crianças do Mundo. En avril, ils s’installent dans leur nouveau lieu de vie, où Igor et Ícaro pourront dormir ensemble dans une chambre, et dans un vrai lit. Le changement qui s’opère chez Igor est flagrant. Il redevient le petit garçon heureux et souriant que nous avions connu à son arrivée chez nous, joue à nouveau avec les autres enfants; il a retrouvé la joie de vivre. Son père cherche activement du travail, mais ce n’est pas évident en cette période de coronavirus où beaucoup perdent justement leur travail.
Nous aiderons donc Igor et sa famille le temps qu’il faudra, par le loyer et l’alimentation dont ils ont aussi besoin. Comme je l’ai déjà souligné, nous sommes là essentiellement pour les enfants. Mais lorsque la situation d’une famille est tellement pénible que cela rend les enfants malheureux, nous nous devons de soutenir la famille toute entière. Et en cette période si difficile de covid 19, de nombreuses familles passent par des difficultés terribles. Alors nous faisons ce que nous pouvons, pour aider toutes celles qui en ont besoin. Les appels à l’aide sont nombreux et nous y répondons de notre mieux. C’est insupportable de voir un enfant pleurer parce que la misère le fait souffrir. Alors, nous lui faisons retrouver le sourire. Et je vous assure : ça fait du bien!
Evelyne
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