jeudi 20 février 2020

La misère insupportable de nos enfants

Un jour de ce mois de novembre, notre petit Mateus Vinicius, 10 ans, arrive un peu triste de chez lui. Il va trouver Michel et lui demande si nous ne pourrions pas aider sa famille. Il dit qu’il n’y a plus de gaz pour cuisiner, que de toute façon il n’y a plus rien à manger à la maison, et que l’électricité va sans doute être coupée, car la facture n’a pas été payée... Michel lui promet que nous allons les aider. Il me demande d’aller rendre visite à la famille et de voir quelle est exactement la situation.

Le lendemain, je prépare un gros colis alimentaire. Vu la situation décrite par le petit garçon, il sera le bienvenu. En fin d’après-midi, au moment où les enfants vont prendre le bus pour rentrer chez eux, je prends Matheus Vinicius avec moi en voiture, et nous partons chez lui. Pendant le trajet, je lui demande avec qui il vit, ses parents, des frères et soeurs? Il me répond qu’il vit avec sa maman et son frère de 13 ans. Quand je lui demande si son papa ne vit plus avec eux, il me répond que son papa est mort. Je n’insiste pas, pour ne pas lui faire de peine. Lorsque nous arrivons, nous apercevons sa maman chez une voisine. Elle nous voit arriver et nous rejoint bien vite chez elle. Très souriante et accueillante malgré la situation, elle me demande d’entrer sans faire attention au désordre. Quand je découvre la maison, je comprends que la vie ne doit en effet pas être facile pour la famille de Matheus Vinicius. Trois petites pièces en tout et pour tout, les murs décrépis tombant en lambeaux, peu de mobilier pour ranger les affaires, pas de plafonds et un toit en plaques d’amiante, froid en hiver et suffocant en été ... vraiment une grande pauvreté qui serre le coeur quand on la voit.

Dans la petite pièce à l’entrée, un vieux canapé usé sur lequel la maman de Matheus m’offre de m’asseoir. Elle s’appelle Ana. Elle s’assied près de moi et Matheus Vinicius s’assied par terre près de nous. Je lui dis que son petit garçon nous a fait part des difficultés de sa famille, lui demandant de m’expliquer un peu ce qui se passe. Ana me raconte que leur situation est vraiment très difficile depuis quelques temps, car elle n’a pas de travail et elle n’a pas reçu la petite pension qui leur permet de vivre. Elle s’est rendue à la banque, qui lui a dit que l’État était en retard pour le payement des pensions et qu’elle ne la recevrait pas avant la fin du mois. Nous ne sommes que le 12! Que peut-elle faire jusqu’à la fin du mois? Ce genre de situation n’est malheureusement  pas rare au Brésil... Divers reportages nous ont déjà raconté ou montré les difficultés qu’affrontaient beaucoup de gens qui restaient deux, voire trois mois sans recevoir leur pension. Ils doivent se débrouiller pour payer leur loyer, leurs factures, pour se nourrir, pour acheter leurs médicaments parfois essentiels pour eux... une situation inacceptable, mais hélas bien réelle. Ana m’explique qu’une voisine l’a aidée à payer la facture d’électricité, pour que la famille ne se retrouve pas dans le noir. Et une amie lui a payé une nouvelle bonbonne de gaz, pour qu’elle puisse à nouveau cuisiner. Ana semble une très gentille personne et elle est manifestement appréciée autour d’elle, recevant un peu d’aide quand elle est dans le besoin. Malgré tout, la situation reste difficile. Elle ajoute que le père des enfants n’aide en rien et ne paye même pas la pension alimentaire qu’il est censé verser tous les mois. Je m’étonne un peu, me souvenant de ce que Matheus Vinicius m’a dit dans la voiture. Quand je regarde Matheus, il baisse la tête, gêné. Il m’a menti en disant que son père était mort. Mais je ne dis rien, car je comprends que pour l’enfant, dans son esprit, son père est mort. Cet homme ne se soucie pas de ses enfants, il ne les aide en rien, ne vient jamais les voir, ignore en fait leur existence. Donc pour Matheus Vinicius, il est mort, il a fait une croix dessus, définitivement. C’est trop triste et cependant tellement fréquent dans les familles de nos enfants.
Ana m’explique qu’en plus, son fils aîné de 13 ans a des problèmes de santé mentale. Il est en traitement chez un pédo-psychiatre et a des médicaments à prendre. Elle ne peut plus les acheter pour le moment. Tout ça est bien pénible pour elle et je comprends son angoisse et son désarroi. Je dis à Ana que pour les aider un peu, je leur ai apporté un colis alimentaire pour finir le mois sans trop de problèmes. Elle fait un grand sourire et me remercie; je la sens soulagée. Elle m’accompagne avec Matheus Vinicius jusqu’à la voiture, et nous déchargeons les caisses ensemble. Je lui donne aussi un peu d’argent pour ses autres besoins, en espérant que la famille tiendra jusqu’à la fin du mois sans plus trop de problèmes. Je lui dis qu’elle n’hésite pas à nous demander de l’aide quand elle en a besoin. Ana ne sait comment remercier. Elle est déjà si heureuse que son fils ait été accueilli à Crianças do Mundo. Elle me dit que Matheus Vinicius a beaucoup changé depuis; il travaille mieux à l’école et a mûri, est plus responsable et serviable à la maison. Je lui dis qu’elle peut être tranquille de ce côté-là : Matheus Vinicius est un gentil petit garçon, qui ne donne pas de travail à Crianças do Mundo. Il s’y est bien intégré et est ami et aimé de tous. Je promets à Ana de revenir la voir bientôt. Au moment où je vais partir, Matheus Vinicius me serre très fort en m’entourant de ses  bras, et il me dit merci. Cette reconnaissance d’un petit bonhomme de 10 ans me touche beaucoup, j’en ai des frissons. Je n’ai pas apporté de bonbons ni de jouets, simplement un peu de nourriture pour que la famille n’ait pas faim. Mais il est tellement heureux de voir sa maman soulagée.
Matheus Vinicius fait partie de ces nombreux enfants de famille pauvres qui n’auraient aucune chance dans la vie sans une main tendue. Beaucoup hélas ne la rencontreront jamais sur leur chemin. Matheus Vinicius, tout comme Thales, Luiz Octávio, Fernando, Isaque, Rodrigo, João Pedro et tous nos autres enfants ont sans doute eu la chance de pouvoir être accueillis chez nous, de trouver une porte ouverte sur un autre monde que celui de la misère. Et de s’apercevoir que la pauvreté n’est pas une fatalité si une chance leur est offerte et qu’ils savent la saisir de toutes leurs forces.
Heureusement, beaucoup de nos enfants la saississent et se construisent une vie digne. Ils apprennent à donner de la valeur à tout ce qui leur est offert. Et si, en plus de l’aide matérielle, ils reçoivent aussi beaucoup d’amour, ils apprennent petit à petit à faire rayonner autour d’eux cet amour qu’ils ont reçu et à le partager dans leurs familles. C’est une des raisons de la satisfaction des familles des enfants que nous accueillons : ils voient l’évolution de leurs enfants quand ils sont accueillis à Crianças do Mundo. Tout comme notre petit Matheus Vinicius, la plupart des enfants accueillis chez nous évoluent souvent de façon remarquable, devenant plus gentils, plus serviables chez eux, prenant leurs études plus au sérieux, voulant se construire un avenir digne et heureux. Leur permettre cette vie digne nous rend nous aussi tellement heureux!
Evelyne

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