vendredi 23 septembre 2016

La victoire de la tendresse

Depuis quelques années, nous constatons un grand changement chez les enfants que nous accueillons chez nous à Crianças do Mundo. Nous savons que le monde change, la société est très différente, les générations se suivent et ne se ressemblent plus guère. Et ceci n’est pas le cas seulement au Brésil, nous le savons. Mais nous le ressentons de plus en plus fort ici, car c’est au Brésil que nous vivons depuis 33 ans maintenant.

Au début de notre travail ici avec les enfants et ceci pendant environ 25 ans, nous avons accueilli des enfants pauvres, parfois abandonnés dans les rues, mais souvent vivant dans une famille où la misère régnait, mais où ils trouvaient un peu de structure familiale et d’exigences malgré tout. C’était une pauvreté matérielle, mais avec tout de même des notions de valeurs et de morale. Depuis une petite dizaine d’années, les choses ont beaucoup changé. Parmi les enfants que nous accueillons, il y en a de plus en plus qui sont profondément perturbés, car ils viennent de familles tout à fait déstructurées, sans plus aucune notion de valeurs. C’est une pauvreté totale, pas seulement matérielle, mais aussi morale. Et celle-ci est beaucoup plus difficile à faire évoluer.

Felipe a 11 ans et est avec nous depuis 3 ans maintenant. C’est un enfant très difficile. Il est arrivé comme un enfant sauvage, sans aucune notion de quoi que ce soit. Elevé par un père alcoolique et une belle-mère qui ne le supportait pas, les coups pleuvaient pour tout et pour rien et il n’a jamais reçu la moindre affection.

A 7 ans, il est allé vivre chez sa mère, car son père est mort suite à ses problèmes d’alcoolisme et la belle-mère a rejeté Felipe. La mère de Felipe a, du jour au lendemain, dû assumer un fils qu’elle connaissait à peine et qui était très perturbé. La tâche s’est avérée trop difficile pour elle et elle a demandé notre aide.

En accueillant Felipe chez nous à 8 ans, nous avons assumé un véritable défi, et nous avons aussi soulagé un peu sa mère qui ne savait plus que faire de lui. Les premiers temps, nous avons dû traiter Felipe de façon bien différenciée des autres enfants, car il n’avait pas la capacité de s’intégrer normalement. Il n’obéissait pas, ne voulait pas étudier, ne voulait pas participer aux activités, provoquait et insultait les autres enfants et se battait constamment avec l’un ou l’autre... pas évident! Mais à force de beaucoup de patience et d’amour, Felipe a évolué, lentement, très lentement, mais le changement apparaissait au fil des jours. Felipe a trouvé la capacité d’écouter, est devenu plus obéissant et a accepté de faire quelque chose à l’étude et aux activités. C’était loin d’être un enfant facile, mais un vrai changement s’opérait petit à petit et c’était ça l’essentiel.

Le temps a passé et au cours de l’an dernier, après 2 ans à Crianças do Mundo, Felipe a beaucoup évolué. Il s’est bien intégré au groupe, est devenu plus ami des autres enfants, qui eux aussi l’acceptaient donc mieux, et a fait de gros progrès à l’école aussi. Et Felipe est devenu un enfant affectueux et heureux de recevoir notre amour et affection en retour. Au cours des premiers temps chez nous, Felipe refusait tout geste d’affection, il n’aimait pas qu’on le touche, qu’on l’embrasse. Il n’avait jamais reçu d’amour dans sa famille, que des coups, et il se montrait craintif quand on l’approchait. Il était aussi incapable de comprendre quand on lui voulait du bien. Si on lui faisait un compliment lorsqu’il avait fait un effort, il le prenait mal, pensant qu’on le critiquait. Il avait dû subir beaucoup de violence pour être à ce point méfiant envers les autres personnes. Mais au fil des jours, Felipe améliorait son comportement, même s’il n’était pas toujours facile.
Les vacances d’été sont arrivées en décembre et janvier dernier et Felipe, tout comme nos autres enfants, est resté un mois à la maison, de la Noël jusque fin janvier de cette année. A son retour, nous constatons tout de suite un changement chez Felipe, une nette régression dans son comportement. Il est à nouveau beaucoup plus difficile, agressif et parfois bien violent. Les insultes pleuvent à nouveau et il est redevenu bagarreur. Le mois de vacances a détruit tout le travail que nous avions fait avec lui. Nous devons reprendre toute notre action pédagogique avec lui et le travail s’avère difficile. A l’école aussi, Felipe est redevenu terriblement difficile avec tous, même avec les adultes, ne respectant plus personne, se battant sans cesse avec les autres enfants. Heureusement, Felipe s’exprime maintenant sans problèmes et petit à petit, nous découvrons à travers tout ce qu’il nous raconte, la raison de toute cette agressivité.

Sa mère a un nouveau compagnon depuis janvier, mais hélas celui-ci n’aime pas Felipe et le lui fait sentir. Il est alcoolique et lorsqu’il a bu, il frappe Felipe pour tout et pour rien. La mère de Felipe   travaille dans une boulangerie, de 13h à  22h, et elle n’est donc jamais à la  maison le soir, lorsque Felipe rentre de Crianças do Mundo et de l’école. Un soir, le beau-père de Felipe rentre ivre et commence à crier et à maltraiter Felipe. Les cris et la violence sont tels, que les voisins alertent la police.

L’arrivée de celle-ci calme les choses, car les policiers menacent d’emmener l’homme au poste. Il promet de se tenir coi et la police repart. Mais à peine seul avec Felipe, il lui fait des menaces et lui promet qu’il va se venger, comme si le pauvre gosse était responsable de quoi que ce soit. Felipe arrive chez nous le lendemain très abattu et fatigué. Il nous raconte l’histoire et dit qu’il n’a pas osé fermer l’oeil de la nuit. Il avait peur de s’endormir et que son beau-père ne vienne le tuer pendant son sommeil... Ce récit donne froid dans le dos. Comment un enfant de 11 ans peut-il vivre une telle situation d’angoisse? Avoir peur de dormir,  craignant d’être assassiné pendant la nuit par un beau-père qui le déteste! C’est vraiment affreux et nous comprenons pourquoi Felipe est si perturbé et difficile.

Une nouvelle visite dans la famille s’impose et je m’y rends un matin avec José Maria, notre Directeur pédagogique. La maman de Felipe, Poliana, est présente, pas le beau-père, ce qui nous permet de parler ouvertement du problème de relation entre Felipe et ce dernier. Poliana reconnaît la situation, en parle souvent avec son compagnon, faisant tout pour qu’il arrête la boisson, car c’est là que ce situe le fond du problème. Elle comprend très bien la situation, étant elle-même une ancienne alcoolique. Par sa force de volonté, elle est parvenue à arrêter et ne boit plus depuis quelques années. Nous lui faisons comprendre qu’il est vraiment urgent pour Felipe que la situation familiale s’améliore, qu’il est en situation de risque, et que nous sommes disposés à aider la famille si nécessaire.

Les jours passent, Felipe continue à donner beaucoup de travail, tant chez nous qu’à l’école. Mais quelques semaines plus tard, Poliana nous prévient que son compagnon est disposé à se faire soigner et d’aller dans une maison de récupération. Nous en connaissons l’une ou l’autre et allons les aider à faire le bon choix. Nous voulons espérer que les choses vont s’arranger pour la famille de Felipe est que celui-ci pourra enfin vivre une vie plus heureuse et détendue. Il pourra alors évoluer positivement à nouveau et retrouver un équilibre. Felipe continue parmi nous et vu son âge, nous pouvons encore l’accueillir pendant plusieurs annnées, dans l’espoir de pouvoir l’aider à retrouver le bonheur et la joie de vivre. C’est notre but essentiel à Crianças do Mundo : apporter le bonheur et le sourire aux enfants les plus démunis d’amour. Et ensemble, nous y arrivons!
                                                         
Evelyne

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