samedi 21 septembre 2013

Des mères parfois indignes

Uender est un petit bonhomme de 9 ans, avec nous à Crianças do Mundo depuis février 2012. Il habite le “Morro do Padre Rocha”, la favela où se trouve notre Maison du Partage. C’est un quartier misérable, où la drogue circule librement dans les ruelles et où la violence est aussi bien présente. Uender y vit avec sa mère, un grand frère de 11 ans, Eduardo,  et une petite soeur de 1 an. Une vie au quotidien bien difficile, sans aucun appui familial, sans structure, sans référence. Girlaine, sa mère, d’une trentaine d’années, n’a jamais travaillé de sa vie. Elle est jeune, forte et en bonne santé, mais elle préfère vivre de la “bolsa familia”, sorte d’allocation familiale versée par l’état aux familles pauvres, et de la mendicité. La barraque dans laquelle vit la petite famille est misérable : deux petites pièces en terre battue avec peu de meubles.



Girlaine a d’énormes problèmes pour s’occuper de sa famille. Elle n’a aucun sens des responsabilités et néglige vraiment ses enfants. Il y a une quinzaine d’années, elle a perdu successivement deux petites filles en bas âge, par manque de soins et d’alimentation. Elle a ensuite eu Eduardo, qui a maintenant 11 ans, mais dont elle ne s’occupe pas du tout. Le garçon traîne dans les rues de la favela et est déjà sur le chemin de la marginalité. Il va de temps en temps à l’école où il est absolument insupportable. Mais on le serait à moins. Non seulement sa mère ne s’occupe pas du tout de lui, mais en plus elle le rejette et est méchante avec lui. Un jour à l’école, elle a hurlé à Eduardo devant toute sa classe qu’elle le haît, qu’il ne vaut rien, tout comme son père, qu’elle raconte dans tout le quartier qu’il est un âne qui ne saura jamais lire et écrire, et d’autres méchancetés du genre. Le pauvre gosse a fondu en larmes, ce qui ne l’a pas émue le moins du monde. L’institutrice a tenté d’intervenir auprès de Girlaine, choquée par ce qu’elle voyait et entendait, et ayant pitié de l’enfant, mais sans succès. Girlaine a craché son venin jusqu’au bout. Eduardo devient donc de plus en plus difficile, révolté, agressif, et malgré ses 11 ans, tourne déjà mal.  Comment peut-on devenir quelqu’un de bien sans père et avec une mère qui vous rejette et vous hait ?... Les cinq enfants de Girlaine sont de pères différents, et aucun n’a assumé la paternité.

Quant à Uender, deux ans plus jeune qu’Eduardo, elle le rejette moins mais ne s’en occupe guère plus. Quand il est chez lui, il reste très peu à la maison et traîne dans les rues toute la journée.
Nous l’avons donc accueilli chez nous il y a un an et demi maintenant, lorsqu’il avait 8 ans. Il est venu tout seul à Crianças do Mundo pour demander s’il y avait une place pour lui, et connaissant un peu la situation de sa famille, par notre Maison du Partage, nous n’avons pas hésité une seconde à l’accueillir. Dès le départ,  Uender s’est  montré un  très
gentil petit bonhomme, doux, en recherche énorme d’affection, ami de tous.
On se demande souvent comment il est possible que Uender soit comme il est, quand on connaît son histoire et la vie qu’il mène depuis sa naissance.

Il pourrait être comme son frère Eduardo, agressif et insupportable. Il est avec nous depuis un an et demi et n’a jamais donné le moindre problème de comportement. Nous le sentons cependant souvent triste et un peu fermé. Et puis, comme souvent hélas, il ne savait ni lire ni écrire en arrivant chez nous. Il apprend doucement, mais avec beaucoup de difficultés. Uender manque aussi de temps en temps à Crianças do Mundo, car sa mère se lève trop tard et ne l’éveille pas à temps pour prendre notre bus le matin. Je suis déjà allée plusieurs fois rendre visite chez Uender, entre autres pour porter des colis alimentaires, car nous avons pitié des enfants qui ne mangent pas à leur faim. A chaque fois, je parle avec Girlaine et lui explique l’importance pour Uender de venir tous les jours chez nous, pour qu’on puisse l’aider à combler son retard scolaire. A chaque fois qu’il manque, ça perturbe son apprentissage. Elle doit faire un effort pour se lever et l’éveiller à temps. Mais elle admet sans aucune gêne qu’elle a du mal à se lever tôt...

Un jour, en septembre de l’an dernier, Uender manque à nouveau à Crianças do Mundo. Les jours passent, Uender ne revient pas. Nous sommes inquiets et je finis par aller trouver Girlaine pour lui demander pourquoi Uender est absent depuis près d’une semaine.

Elle me dit qu’elle l’a envoyé chez son père et qu’il reviendra dans quelques jours. Je m’étonne, et  je lui dis qu’il ne peut pas manquer ainsi l’école et Crianças do Mundo pendant 10 jours! Il pourrait très bien aller chez son père pendant les vacances. Tout d’abord, premier problème, ce père ne s’occupe pratiquement jamais de Uender; il n’en a  pas  voulu  à  sa  naissance et  ne  l’a jamais reconnu.
Pourquoi alors envoie-t’elle ce gosse chez lui? D’autre part, ce père habite dans un campement insalubre de la ville voisine d’Acesita, au milieu d’un tas de gens paumés, où règne la boisson et la drogue. Comment peut-elle envoyer son petit garçon de 8 ans dans un tel campement? Que peut-il sortir de bon d’un séjour de 10 jours dans un tel endroit? Ça nous dépasse! Manifestement, Girlaine voulait être quitte de Uender pendant quelques jours et c’est la solution qu’elle a trouvée. Uender passe toutes ses matinées à Crianças do Mundo et tous ses après-midi à l’école. Elle ne l’a donc avec elle à la maison que le soir, et c’est encore trop? C’est vraiment incroyable et révoltant. Je lui  demande de ne plus prendre ce genre de décision qui ne peut que faire du tort à Uender. Et c’est ce qui se confirme quand le petit revient chez nous après 10 jours d’absence. Il est totalement transformé, plus difficile, plus fermé, et, à l’école, il ne veut plus rien faire. Même à l’étude chez nous, notre professeur a beaucoup de mal à le faire étudier, alors que ça ne posait aucun problème avant. Ce séjour de 10 jours chez ce père paumé a un peu détruit notre petit Uender et il va falloir récupérer tout ça avec patience et amour.

Au fil des semaines, Uender change à nouveau, grâce à tout l’amour qu’il reçoit de tous à Crianças do Mundo;  les mauvais souvenirs du séjour chez son père s’estompent. Cette année, Uender évolue bien. Il devient plus ouvert et semble moins triste. Son sourire éclatant et franc fait chaud au coeur. Et quand il embrasse, il sert de toutes ses forces, comme s’il avait peur de perdre cette affection qu’il reçoit enfin en abondance. Il s’est fait de très bons amis et semble heureux chez nous. Il a toujours des difficultés d’apprentissage, mais s’efforce davantage et commence à apprendre à lire et écrire. Notre petit Uender semble avoir enfin trouvé un peu de ce bonheur qu’il ne connaissait pas et qu’il méritait tant.
Il y a encore tellement d’enfants, comme Uender, en manque énorme d’amour et d’attention. Quand nous les accueillons, nous ressentons chez la plupart de nos enfants un grand vide, un trou immense à combler. Nous sommes heureusement entourés par toute une équipe qui aime sincèrement les enfants et sait le leur montrer. L’apprentissage scolaire est très important pour tous nos enfants, pour leur avenir et celui de leur  future famille. Mais l’apprentissage de la vie est tout aussi important, avec une grande place réservée à l’amour, l’amitié, le respect et le partage. C’est ce que nous essayons de faire depuis 30 ans avec tous nos enfants du Brésil.  Avec grand bonheur !

Evelyne

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